Originalité des peintures
Nous avons comparé les peintures de Vernouillet avec de nombreuses autres de la même époque; Certaines représentations sont d'une grande rareté, dans la mesure où, malgré nos longues recherches, aucune oeuvre semblable n'a été trouvée.
1. La bête de la Terre:
Animal hybride composé d’éléments des représentations symboliques des Evangélistes (ange, lion , taureau, aigle). Nous n'avons rien trouvé d'identique dans les nombreux livres, peintures murales, ou autre représentation de l'Apocalypse consultés.
2. Le Christ en Gloire entouré des évangélistes:
Ce motif se retrouve au tympans des grandes cathédrales (Chartres, Bourges, Reims.... et dans de nombreuses églises . Il est apparu intéressant de faire une étude sur les représentations de ce motif .
Au XIIIe siècle, la représentation la plus répandue est celle du Christ trônant dans une mandorle* inscrite dans un rectangle. Les quatre évangélistes occupent les angles du rectangle. Emile Mâle voit une hiérarchie dans la disposition des apôtres autour de la mandorle* :
" ..Pareillement la place du haut fut considérée comme plus honorable que la place du bas. Il en résulta des combinaisons curieuses. La plus frappante est celle qui nous présente la figure du Christ en majesté, cantonnée des quatre bêtes de l'Apocalypse. Les quatre animaux, qui sont, comme nous l'expliquerons plus loin autant de symboles des évangélistes avaient été classés par ordre de dignité. On les plaçait ainsi d'après l’excellence de leur nature: l’homme, l’aigle, le lion, le boeuf. Quand il s'agissait de les disposer autour du Christ dans un tympan, on devait tenir compte à la fois de la dignité que confère la place du haut et celle que confère la place de droite. On arrivait donc à la combinaison suivante qui était la plus communément adoptée : l’homme ailé était placé dans le haut de la composition et à la droite du Christ, l’aigle dans le haut et à gauche, le lion dans le bas et à droite, le boeuf dans le bas et à gauche .. "[1].
Dans certains cas, il n’y a pas de rectangle encadrant la mandorle, les évangélistes étant placés à la même place par rapport au Christ dans des demi-cercles comme par exemple à l’église de Lavardin dans le Loir et Cher.
Nous trouvons déjà cette disposition dans des manuscrits plus anciens, d'époque carolingienne[2]. Que le Christ soit représenté dans un cercle comme dans l’Apocalypse de St-Sever dans un rectangle comme le Codex Aureus de St-Emmeran de Ratisbonne, dans une mandorle inscrite dans un losange comme dans la bible carolingienne de Saint-Paul-hors-les-Murs de Rome
ou dans un double cercle comme celle de Saint-Aubin d’Angers : les évangélistes occupent la même place.
Sur la représentation de la tapisserie de l’Apocalypse d’Angers (XVe siècle) on retrouve cette même disposition des Évangélistes autour du Christ qui trône au centre d'un quadrilobe.
Cette disposition n’est pas toujours respectée. Par exemple dans l'évangéliaire de Lothaire (écrit entre 850 et 851) Marc est en bas à gauche, Luc en bas à droite, Mathieu en haut à gauche et Jean en haut à droite. Le Christ est déjà représenté dans une mandorle (Fig.VI-16 a ).
Dans l'évangéliaire de Gundohinus (écrit de 751 à 754) le Christ et les évangélistes sont représentés dans des cercles. Le Christ est inscrit dans un grand cercle central. Les évangélistes inscrits dans des petits cercle occupent les angles de la page. Ils sont disposés de la manière suivante : En haut à droite du Christ (à gauche en regardant le dessin) : Mathieu. En haut à gauche, Marc. En bas à gauche, Jean. En bas à droite, Luc.
On trouve dans les livres carolingiens une autre disposition: Le Christ occupe le centre d'un cercle inscrit dans un carré ou un rectangle. Les représentations des quatre évangélistes ne sont pas placées dans les angles, mais sur le cercle, en haut, en bas, à gauche et à droite du Christ trônant.
Dans les représentations de ce type, Mathieu, l’homme, est placé aux pieds du Christ, Jean l’aigle en haut, Luc, le taureau à droite et Marc à gauche. (par exemple Evangiles de Lorsch, vers 800, Péricopes de Géreon, évêque de Cologne, (Reichenau avant 969.
Dans la bible de Moutier-Grandval dite d’Arundel (milieu du IXe siècle.), le Christ est placé dans une mandorle inscrite dans un losange dont les évangélistes occupent les angles. Mathieu et Jean sont disposés respectivement aux pieds et au dessus comme dans la version précédente, mais Luc est à gauche et Marc à droite (Fig. VI-16c).
La représentation la plus curieuse rencontrée est celle figurant dans l'évangéliaire ottonien de la Sainte-Chapelle de Paris conservé à la bibliothèque nationale (ms latin 8851 .fol. 1 V°). Ce livre a été commandé par l'évêque de Trèves Egbert en 984. Il faisait partie de la bibliothèque de Charles V qui l'a offert à la Sainte-Chapelle en 1377[3].
Au centre, le Christ en Gloire inscrit dans une mandorle*.
Dans les angles, les quatre évangélistes représentés par des personnages assis écrivant sur leurs pupitres. Le nom de chaque Évangéliste est écrit, ce qui permet de les identifier. Au dessus, en dessous et de chaque côté de la mandorle, inscrites dans des cercles, les représentations symboliques des quatre évangélistes : ange, lion, taureau, aigle.
La dispositions des figures humaines des Évangélistes correspond à la disposition usuelle. Par contre celle des représentations symboliques est insolite.
Caractéristiques de la peinture vernolitaine
1. Le Christ est placé au centre d’un quadrilobe inscrit dans un cercle. Le cercle est inscrit dans un carré, mais les symboles des évangélistes ne figurent ni dans les coins du carré, ni sur le cercle. Ils sont placés à l'extérieur dans des demi-cercles placés sur les quatre côtés du carré.
Le motif géométrique, carré entouré de 4 demi-cercles n’est pas original en soi. Certains bijoux mérovingiens avaient déjà cette forme. De même certaines églises ont adopté ce plan dès le Ve siècle en Arménie. Il est utilisé à l’époque carolingienne en France à Germiny-des-Prés dans l'Orléanais (Fig.VI-19). Michel -Ange dessinera un plan du même motif pour son projet de reconstruction de Saint-Pierre de Rome. A la fin du XIIIe et au XIVe siècle ce motif est souvent utilisé comme cadre d’enluminures ou de bas-reliefs sculptés. Mais nous n'avons trouvé aucune autre représentation du Christ en gloire utilisant la même disposition.
[3] Marie-Pierre LAFFITE Les manuscrits de la Sainte-Chapelle au Moyen Âge. revue Dossiers d'archéologie n°264, juin 2001, page 56